L'acquisition d'une troisième langue (L3) ou d’une langue additionnelle (Ln) désigne le processus d'apprentissage en cours d'une nouvelle langue étrangère (LE), après celui d'une ou plusieurs première(s) langues (L1) et deuxièmes langues (L2). Elle implique l'étude de la manière dont une L3/Ln est apprise, qui peut différer de l'acquisition de la L1 et de la L2 en raison de facteurs tels que ses antécédents linguistiques, le statut des langues déjà apprises, les compétences linguistiques en L2 et L3, le contexte d’acquisition de la L3 ou encore la distance typologique entre les langues en présence, réelle ou évaluée par l’apprenant d’après sa psychotypologie (Kellerman 1983)[1]

Le domaine de l’acquisition L3/Ln n’est pas un champ nouveau, mais il s’est particulièrement développé ces dernières décennies, en parallèle de la perspective plurilingue adoptée dans le CECRL (Cadre Européen de Référence pour les Langues). Le plurilinguisme peut en effet être considéré comme la forme de compétence linguistique par défaut dans la majorité des sociétés contemporaines (Hammarberg 2018). Dans le sillage de ce qu’on appelle le « multilingual turn » (May 2013, Conteh & Meier 2014) dans l'apprentissage et l'enseignement des langues, l’abandon d'un biais monolingue où le locuteur natif est le seul critère d'évaluation de l'apprenant d'une L2 (Cook 2012) peut s’avérer utile pour faire évoluer le champ de l’acquisition des L2/LE, en offrant une autre perspective sur les concepts d’interlangue, de fossilisation ou de compétence linguistique. 

Dans les approches cognitives de l’acquisition d’une L3, différents modèles sont discutés dans les travaux générativistes et fonctionnalistes en ce qui concerne le contact des langues à l’état initial. Plusieurs études (par ex. Cenoz, Hufeisen et Jessner 2001, 2003, Hammarberg 2001, Bardel & Falk 2007, Bono 2007, Eibensteiner 2023, Vallerossa et al. 2023) soulignent que l’influence translinguistique se manifeste plutôt entre L2 et L3 qu’entre L1 et L3. Pour d’autres, L1 reste la source exclusive de transfert (Hermas 2014,  Sanz, Park & Lado 2015). Certaines études défendent l’idée selon laquelle le transfert peut s’effectuer à partir d’une des langues sources (L1 ou L2) selon sa primauté typologique avec un effet facilitateur (Rothman 2011), voire à partir des deux langues (Flynn, Vinnitskaya & Foley, 2004). Dans ce dernier cas, les expériences linguistiques antérieures peuvent soit améliorer l'acquisition linguistique ultérieure (effet d’amorçage), soit rester neutres. Quant au modèle du scalpel de Slabakova (2017), il défend l’idée que l’influence translinguistique de L1 et/ou L2 opère de manière sélective, propriété par propriété dans le traitement d’une L3, et n’est pas forcément facilitatrice. 

Enfin, au-delà de la problématique du transfert, on peut également appréhender le plurilinguisme à l’aune de la théorie des systèmes dynamiques (Jessner 2008) pour examiner la variabilité dans le développement du système plurilingue. 

 

Références

Bardel, C., & Falk, Y. (2007). The role of the second language in third language acquisition: The case of Germanic syntax. Second language research23(4), 459-484.

Bono, M. (2007). La comparaison L2-L3, un tremplin vers l’acquisition trilingue. Birkbeck Studies in Applied Linguistics2, 22-41.

Cenoz, J., Hufeisen, B., & Jessner, U. (Eds.). (2001). Cross-linguistic influence in third language acquisition: Psycholinguistic perspectives (Vol. 31). Multilingual Matters.

Cenoz, J., Hufeisen, B., & Jessner, U. (2003). Why investigate the multilingual lexicon?. In The multilingual lexicon (pp. 1-9). Dordrecht: Springer Netherlands.

Conteh, J. & Meier G. (2014). The Multilingual Turn in Languages Education: Opportunities and Challenges. Bristol, Blue Ridge Summit: Multilingual Matters.

Cook, V. (2012). Multicompetence. The encyclopedia of applied linguistics.

Eibensteiner, L. (2023). L3 acquisition of aspect: the influence of structural similarity, analytic L2 and general L3 proficiency. International Review of Applied Linguistics in Language Teaching61(4), 1827-1858.

Flynn, S., Foley, C., & Vinnitskaya, I. (2004). The cumulative-enhancement model for language acquisition: Comparing adults' and children's patterns of development in first, second and third language acquisition of relative clauses. International journal of multilingualism1(1), 3-16.

Hammarberg, B. (2001). Roles of L1 and L2 in L3 production and acquisition. Bilingual Education and Bilingualism, 21-41.

Hammarberg, B. (2018). L3, the tertiary language. Foreign language education in multilingual classrooms, 127-150.

Hermas, A. (2014). Multilingual transfer: L1 morphosyntax in L3 English. International Journal of Language Studies8(2), 1-24.

Jessner, U. (2008). A DST model of multilingualism and the role of metalinguistic awareness. The modern language journal92(2), 270-283.

May, S. (Ed.). (2013). The multilingual turn: Implications for SLA, TESOL, and bilingual education. Routledge.

Rothman, J. (2011). L3 syntactic transfer selectivity and typological determinacy: The typological primacy model. Second language research27(1), 107-127.

Sanz, C., Park, H. I., & Lado, B. (2015). A functional approach to cross-linguistic influence in ab initio L3 acquisition. Bilingualism: Language and Cognition, 18(2), 236-251.

Slabakova, R. (2017). The scalpel model of third language acquisition. International Journal of Bilingualism21(6), 651-665.

Trévisiol P. & Rast R. (2006). Présentation, in Rast R. & Trévisiol P. (dir.): L’acquisition d’une langue 3Acquisition et Interaction en Langue Etrangère, 24, 3-11.

Vallerossa, F., Gudmundson, A., Bergström, A., & Bardel, C. (2023). Learning aspect in Italian as additional language. The role of second languages. International Review of Applied Linguistics in Language Teaching61(3), 1139-1171.



[1] Pour une revue des principaux facteurs impliqués dans l’acquisition d’une L3, voir Trévisiol & Rast 2006.

 

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